Communes carencées au titre de l’article 55 de la loi SRU : cadre applicable, critères justifiant le prononcé de la carence, conséquences pour les communes concernées et recours possibles. On fait le point.
Rappel du cadre applicable
L’article 55 de la loi Solidarité et Renouvellement Urbains (SRU) du 13 décembre 2000, instauré pour répondre à la pénurie de logements sociaux, oblige certaines communes à disposer d’un nombre minimum de logements sociaux, proportionnel à leur parc résidentiel.
Les communes de plus de 3 500 habitants (et de 1 500 habitants dans l’agglomération parisienne), appartenant à des agglomérations ou intercommunalités de plus de 50 000 habitants comprenant au moins une commune de plus de 15 000 habitants, doivent disposer de 25 % de logement social, en regard des résidences principales.
Dans les communes appartenant à des territoires dont la situation locale ne justifie pas un renforcement des obligations de production, cette obligation est fixée à 20 % de logements sociaux.
Enfin, les communes de plus de 15 000 habitants en croissance démographique de plus de 5 %, ne se situant pas dans les territoires précités et justifiant d’un effort de production supplémentaire au vu du fonctionnement de leur marché local de l’habitat, ont également l’obligation de disposer de 20 % de logements sociaux.
Le rendez-vous triennal
Pour atteindre le taux cible de 25 % ou de 20 %, le Préfet de département notifie à la commune un objectif de réalisation de logements locatifs sociaux par période triennale.
Désormais, depuis la loi 3DS du 21 février 2022, pour atteindre le taux SRU cible de 25% ou 20%, un objectif de production de 33 % de logements sociaux à réaliser par période triennale est fixé (objectif qui peut être porté à 50 % ou 100 % en fonction des écarts constatés). ⇒ Article L. 302-8 du code de la construction et de l’habitation.
Lorsqu’une commune n’a pas atteint l’objectif lui ayant été fixé, le Préfet informe le maire de la commune de son intention d’engager la procédure de constat de carence. Il lui précise les faits qui motivent l’engagement de la procédure et l’invite à présenter ses observations dans un délai de deux mois.
Quels sont les critères justifiant le prononcé de la carence ?
Le Préfet peut, par un arrêté motivé pris après avis du comité régional de l’habitat et de l’hébergement (CRHH) et, le cas échéant, après avis de la commission nationale SRU, prononcer la carence de la commune. ⇒ Article L. 302-9-1 du code de la construction et de l’habitation.
Le Préfet procède d’abord à l’examen de trois critères (un critère quantitatif, un critère qualitatif et examen de la « dynamique » instaurée par la commune pour honorer les obligations fixées), qu’il met en perspective au regard des contraintes qui pèsent sur la commune :
1) Le critère quantitatif : le nombre de logements sociaux fixés sur la période triennale a-t-il été réalisé ?
2) Le critère qualitatif : le nombre d’agréments ou de conventionnements de logements sociaux de la commune pour la période triennale doit comporter :
– 30 % au maximum de l’objectif global en prêt locatif social (PLS) ou assimilés (cela vise les locataires dont les revenus sont trop élevés pour pouvoir accéder aux habitations à loyer modéré mais trop faibles pour se loger dans le privé),
– et 30 % au minimum en prêt locatif aidé d’intégration (PLAI) ou assimilés (logements réservés aux locataires en grande situation de précarité).
⇒ Article L. 302-8 III du code de la construction et de l’habitation.
Étant précisé qu’une commune qui a réalisé le nombre de logements sociaux qui lui était fixé s’expose tout de même à la carence si elle n’a pas respecté ce critère qualitatif.
3) La dynamique engagée : quels sont les outils que la commune a mobilisés pour se conformer aux obligations assignées de production de logements sociaux ? Sans viser l’exhaustivité, voici des exemples d’outils : plan local d’urbanisme (instauration d’un quota minimum de logements sociaux aux programmes immobiliers, instauration de périmètres de mixité sociale, emplacements réservés pour mixité sociale, majoration des droits à bâtir en cas de réalisation de logements sociaux complémentaires…) ; établissement d’un programme local de l’habitat (PLH) fixant une programmation prévisionnelle conforme aux objectifs assignés ; contractualisation avec l’établissement public foncier (EPF), la convention foncière ayant vocation à favoriser l’habitat urbain et la mixité sociale ; effort financier de la commune (soutien financier au profit des bailleurs sociaux…). En fonction de la dynamique engagée, une commune qui n’a pas satisfait aux deux premiers critères (quantitatif et qualitatif) peut ainsi ne pas être carencée.
Face à ces trois éléments, sont prises en considération les contraintes objectives qui pèsent sur la commune et qui sont de nature à justifier que les objectifs assignés n’ont pu être atteints (ex. existence d’un plan de prévention des risques impactant les zones constructibles, rareté du foncier disponible, prix élevé du foncier, etc.).
Les conséquences de la carence
Le constat de carence prononcé au titre du bilan triennal induit principalement :
- Une majoration du prélèvement annuel sur les ressources fiscales des communes (prélèvement prévu à l’article L. 302-7 du CCH) pendant 3 ans, étant précisé que la majoration ne peut être supérieure à cinq fois ce prélèvement (500 %). La majoration, qui a une visée « punitive », est globalement fixée selon la même grille d’analyse : analyse des critères quantitatif et qualitatif, de la dynamique engagée et des contraintes qui pèsent sur la commune ;
- Le transfert à l’État des droits de réservation dont dispose la commune sur des logements sociaux existants ou à livrer ;
- Le transfert systématique du droit de préemption urbain (DPU) à l’État lorsque l’aliénation porte sur un terrain, bâti ou non bâti, affecté au logement ;
- Tout programme de construction d’immeubles collectifs de plus de 12 logements et/ou de plus de 800m2 de surface de plancher doit comporter au moins 30 % de logements locatifs sociaux.
A titre facultatif, l’arrêté préfectoral peut également identifier des secteurs dans lesquels les permis de construire et autres autorisations d’urbanisme seront délivrés pas le préfet au nom de l’État, après avis de la commune.
Quels recours contentieux peuvent introduire les communes ?
Les communes disposent de deux principales voies contentieuses.
La commune peut d’abord introduire un recours dirigé contre l’arrêté de carence dans le délai de deux mois à compter de la notification de l’arrêté afin de remettre en cause le principe même du prononcé de la carence et/ou les sanctions infligées sur le fondement de cette carence (ex. contestation du taux de majoration).
La commune peut également introduire un recours à l’encontre de l’arrêté fixant les obligations de production de logements sociaux de la commune sur la période triennale à venir. Puisque ces objectifs serviront de référentiel à l’occasion du bilan triennal, il est opportun que la commune qui identifie dès ce stade que les obligations qui lui sont fixées sont inatteignables, conteste ce premier arrêté.
Les moyens à soulever pour contester un arrêté de carence
Le non-respect des critères quantitatif et qualitatif est, en soi, difficilement contestable devant le juge, d’autant plus si la commune n’a pas préalablement attaqué l’arrêté fixant les objectifs triennaux de production de logements sociaux.
En revanche, il appartient à la commune de faire valoir, d’une part, l’ensemble des outils qu’elle a su mobiliser afin de satisfaire à ses obligations (au sein du PLU, adoption d’un PLH, contractualisation avec un EPF, etc. voir supra : critère n° 3 justifiant le prononcé de la carence).
D’autre part, au regard de ces éléments, la commune doit faire état des raisons objectives empêchant qu’elle atteigne ses objectifs triennaux de construction de logements sociaux (rareté du foncier, faible constructibilité en raison notamment de plans de prévention des risques, etc. voir supra).
Autrement dit, la commune doit démontrer son volontarisme au terme de considérations objectives.
A titre d’illustration, le Conseil d’État a pu juger que :
« La commune n’ayant atteint que 49 % de ses objectifs de réalisation de logements locatifs sociaux au cours de la période triennale 2005-2007 et se prévalant, pour justifier de cette insuffisance, de raisons tenant, notamment, à la rareté et au coût anormalement élevé du foncier disponible sur son territoire. Commune n’ayant, à l’époque de la période triennale 2005-2007, pas de programme local de l’habitat depuis la fin d’un premier programme à la fin de l’année 1999, et n’ayant, avant cette période ou au cours de celle-ci, ni modifié ou révisé ses documents d’urbanisme en vue de favoriser le logement social, n’ayant notamment jamais inscrit d’emplacement réservé au logement social dans son plan d’occupation des sols ou son plan local d’urbanisme, ni imposé de quota minimum de logements sociaux aux programmes immobiliers, s’étant bornée à adopter la faculté légale de majoration du coefficient d’occupation des sols pour la construction de logements sociaux. Ainsi, les obstacles invoqués par la commune, liés à l’absence de foncier disponible et au coût extrêmement élevé du foncier ne peuvent, en l’espèce, dès lors qu’ils résultent en grande partie de la faiblesse des instruments dont elle s’était, à l’époque, dotée pour les combattre, être regardés comme revêtant, pour la commune requérante et sur la période en litige, le caractère d’une raison objective au sens des dispositions de l’article L. 302-9-1-1 du CCH. » (CE, 2 juillet 2021, n° 433733, aux Tables).
Récente précision sur l’office du juge administratif
Lorsqu’une commune demande l’annulation d’un arrêté préfectoral prononçant sa carence et lui infligeant un prélèvement majoré en application de l’article L. 302-9-1 du CCH, il appartient au juge de plein contentieux, saisi de moyens en ce sens, de déterminer si le prononcé de la carence procède d’une erreur d’appréciation des circonstances de l’espèce et, dans la négative, d’apprécier si, compte tenu des circonstances de l’espèce, la sanction retenue est proportionnée à la gravité de la carence et d’en réformer, le cas échéant, le montant (CE, 28 octobre 2022, n° 453414, aux Tables).